e079f812175bec5e14897a4dae2969cdAux belles heures du Journal des économistes, ce fut une tradition de confier chaque année au rédacteur en chef — Baudrillart, Garnier ou Gustave de Molinari — la lourde tâche de résumer l’année venant de s’écouler dans un court article de synthèse journalistique … et libérale. Leur compilation offrirait assurément une curieuse lecture. On verrait passer sous nos yeux l’histoire du Second Empire et de la Troisième république, dans sa triple composante économique, politique et sociale, présentée par quelques-uns des plus brillants esprits de la tradition libérale française. Quoique plus modestement, je marcherais ici dans leurs pas. Si la vigueur de leur défense des principes d’une société libre sera mon guide, je ne leur emprunterais pas les couleurs vives dont ils remplissaient leurs tableaux successifs de l’amélioration croissante de l’état matériel des Français. L’année 2015, ouverte dans l’effroi des attentas de Charlie Hebdo, et refermée dans la terreur d’un bis repetita tragique, offre en effet peu de prise à l’allégresse. B.M.


L’année 2015

Les haines causées par la recrudescence du militarisme ont laissé à 2015 un héritage de violences et de terreurs qui nous accompagneront encore dans cette nouvelle année et feront peser sur la civilisation une menace réelle de dépérissement. Depuis plusieurs années, la défense nationale de la France, loin d’être vigoureuse et forte, s’est diluée et affaiblie dans la folie de l’intervention militaire à travers le globe, dans des conflits qui n’impliquent ni sa sécurité ni ses frontières, et où l’exercice de choisir les gentils et les méchants s’avère toujours hasardeux. Le désordre, l’inimité et les rancunes que la France a semée, tranchant avec les germes de paix et de vraie fraternité qu’un commerce libre et une politique étrangère de non-intervention auraient fait naître, se sont manifestés dans deux attaques terribles qui ont meurtri le pays en ouverture et fermeture de cette année.

Certainement, l’environnement de peur et l’esprit de revanche ne disparaîtront que lentement et rendront le retour sur le sentier de la paix plus improbable et plus tardif. La France, qui a tant contribué à la pensée pacifiste, devra compter sur ses propres forces et sur le souvenir de sa propre histoire pour adopter une politique étrangère plus humble et plus compatible avec le progrès matériel et culturel des Français. Les discours spectaculaires de dangerosité de la plupart des candidats républicains et démocrates à la présidence des États-Unis et les pulsions nationalistes et bellicistes de Vladimir Poutine, font sentir que certaines nations se préparent à tirer parti d’un état de guerre à l’échelle mondiale. En refusant à tout prix le non-interventionnisme, le traitant d’isolationnisme, la France s’isolera-t-elle — véritablement cette fois — de l’ensemble du monde, de l’Amérique du Sud, de l’Asie, de l’Afrique, qui espèrent et attendent un environnement de paix et d’entente cordiale permettant la suite de leur développement, afin de suivre servilement l’exemple d’une ou deux nations ? Cela dépend d’elle, comme il dépend d’elle de savoir si cette préoccupation de la survenance d’un état de guerre à l’échelle du monde l’emportera ou non sur les luttes politiciennes et sur le débat des fausses solutions comme la surveillance, l’espionnage, ou la déchéance de nationalité.

L’année prochaine se chargera bien assez tôt de nous prévenir de la nature de la voie empruntée. Dès cette année 2015, dans l’attente d’un traitement du problème à la racine, les sous-produits naturels du militarisme sont venus compliquer nos existences, qu’ils prennent la forme de conflits interreligieux ou de question migratoire. Ils ont hanté nos esprits, piégeant même le camp des défenseurs de la liberté, incapables d’apporter une solution satisfaisante compatible avec le collectivisme et le militarisme actuels. Les rives du vieux continent ont vu déferlé des vagues de nouveaux migrants, dont les intentions étaient pures, la souffrance réelle, quoiqu’ils aient été accompagnés à leur insu par des fanatiques décidés à venger leurs frères en proie aux bombardements occidentaux.

Toutefois, cette année, c’est surtout en Europe que nous avons trouvé des fanatiques. Les fanatiques du militarisme, d’abord, criant à chaque occasion le besoin de guerroyer, pour vaincre un ennemi que non seulement ils ne vainquent jamais, mais qu’ils ont fait naître et qu’ils renforcent par leur entêtement. Des fanatiques du socialisme, ensuite — quoique ce soit une conclusion théorique inévitable que socialisme et militarisme sont deux faces d’une même pièce : Bastiat le disait bien, « la spoliation au dehors s’appelle guerre, conquêtes, colonies. La spoliation au dedans se nomme impôts, places, monopoles. » (Cobden et la Ligue) Ces fanatiques du socialisme ont continué la spoliation au-dedans, qui se porte encore bien en cette fin d’année, et a connu depuis janvier un développement inattendu, compte tenu des niveaux qu’elle avait déjà atteint. Nous avons eu beau croire qu’il n’est pas raisonnable de faire des expériences sur des êtres humains, le pouvoir socialiste français a fait de nombreuses expériences, toutes infructueuses, dans le but de sauver la face et réparer les échecs répétés de ses recettes interventionnistes. La loi santé, complément macabre du déjà fort destructeur régime de la Sécurité Sociale, promet des succès en utilisant les mêmes méthodes qui provoquent, depuis des décennies et dans tous les pays du monde, l’inflation du prix des médicaments et la baisse de l’accès aux soins. Dans l’enseignement, la ministre Najat Vallaud-Belkacem n’en a pas davantage rompu avec le collectivisme scolaire et ne doit pas attendre des résultats supérieurs à ceux de ses prédécesseurs.

Ce qu’il peut y avoir de plus étonnant, dans cette poursuite et même ce renforcement du socialisme en France, qu’il prenne la forme de nouveaux règlements ou de nouveaux impôts, c’est qu’il intervient dans un environnement qui lui semble parfaitement contraire. Les maux de la France au début de 2015 étaient suffisants pour que les bons esprits se placent du côté de la réforme, de la nouveauté, du changement. L’éternelle question du chômage, toujours irrésolue, aurait mérité un mea culpa de la part des gouvernements et l’adoption de mesures de libéralisation du marché du travail, qui ont prouvé et prouvent à chaque heure leur mérite dans tous les pays qui daignent les mettre en œuvre. L’incapacité de la classe politique socialisante devait aussi apparaître clairement dans le domaine des finances publiques, du déficit et de la dette, tandis que le poids de cette dernière avançait durant toute l’année 2015 vers les alentours de l’inquiétant taux de 100% du PIB.

Mais ce qu’il y a de plus étonnant, c’est qu’à mesure que l’échec de la nouvelle salve de mesures interventionnistes du pouvoir socialiste s’est fait sentir, un parti au moins tout autant acquis à la cause de l’interventionnisme s’est attiré les faveurs des électeurs. Bien entendu, cette année, la question du Front National s’est encore résolue dans un entassement d’anathèmes portés à ses électeurs, plutôt qu’à un questionnement de fond sur la chance de succès d’un parti qui n’ambitionne rien de moins que la poursuite voire le développement de ce même interventionnisme ou socialisme qui appauvrit la France année après année.

En cette fin d’année, un vent d’espoir a soufflé depuis l’Espagne et nous souhaiterions que les Pyrénées ne le freinent pas. Qu’il parvienne jusqu’à Paris, qu’il pénètre dans les cabinets ministériels et dans le Parlement ce vent de fraîcheur libérale ! Ciudadanos, un parti hors-système mais surtout hors-interventionnisme et hors-socialisme, vient d’emporter 15% lors des élections de décembre. Le résultat est d’autant plus inespéré que la représentation politique du libéralisme en Espagne était quasi-inexistante il y a encore dix ans.

L’espoir est certainement permis, et en France même, une part croissante de la population semble douter des mérites du socialisme, soit en ne participant plus aux scrutins électoraux, soit en rejoignant et soutenant les projets et acteurs qui militent pour la réduction du périmètre de l’État au profit d’un agrandissement de l’espace laissé pour la société civile et pour l’individu.

Pour accompagner ce développement, encore timide, encore fragile, l’Institut Coppet aura à cœur, en 2016, de défendre le libéralisme et de promouvoir l’école libérale française, celle des Turgot, Say et Bastiat, avec une promesse, celle de fournir chaque jour un nouvel article. De quoi, si nous avons votre soutien, fournir aux esprits curieux et de bonne volonté les armes pour vaincre le socialisme.

Benoît Malbranque

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