Ce qui me fascine avec certains économistes français, c’est comment ils sont capables de prévoir les effets d’une loi avant même qu’elle ait été conçue et adoptée. C’est par exemple Yves Guyot qui décrit les effets de l’impôt sur le revenu trente ans avant qu’il soit voté, ou mieux encore, celui de Courcelle-Seneuil, qui explique comment le salaire minimum crée le chômage, près d’un siècle avant que le premier salaire minimum ne soit mis en place en France. Voici ses mots, datant de 1858 :
« Quelques penseurs ont demandé l’établissement, par autorité, d’un minimum au-dessous duquel le salaire ne devrait jamais tomber. Sans prévoir les difficultés pratiques que présenterait la fixation de ce minimum, en monnaie ou en denrées, il est clair que le nombre des ouvriers qui offriraient du travail pourrait excéder celui auquel les entrepreneurs en offriraient au prix du tarif. Que faire alors des ouvriers sans travail ? Le tarif minimum les empêcherait d’obtenir du travail ; ils se trouveraient dans la situation de quelques passagers à bord d’un navire affamé auxquels on ne donnerait rien à manger pour ne pas réduire la ration des autres. Il faudrait dès lors, de toute nécessité, les tuer ou les secourir aux dépens du public, les entretenir dans l’oisiveté, quoique capables de travail, ou organiser, aux frais des contribuables, des ateliers sociaux. » (Traité théorique et pratique d’économie politique, tome 2, p.140-141)
Il y a beaucoup à commenter, tellement il y a de points sur lesquels cet économiste a correctement anticipé les développements contemporains. Prenons ses propos dans l’ordre :
* « Par autorité » : Courcelle-Seneuil a bien compris que le point crucial de la question n’était pas la fixation d’un minimum de salaire, mais sa fixation par autorité, par contrainte. Un salaire minimum dans une branche d’activité ou dans une entreprise n’aurait pas les mêmes effets néfastes qu’il décrit ensuite. Mais un minimum obligatoire, imposé sur l’ensemble du territoire à quiconque emploie un salarié, ne peut avoir que ces mauvais effets.
* « les difficultés pratiques » : Là encore, l’auteur anticipe bien la problématique du niveau du salaire minimum, qui nous tient encore aujourd’hui. Certains proposent 1500€, d’autres pourraient bien proposer 1600, 1700, 1800, ou bien davantage. Comment donner raison aux uns et tort aux autres ? Comment parvenir à définir de manière rigoureuse ce niveau minimum ? Cela est impossible, et tous les gouvernements depuis l’instauration du SMIG en France se sont heurtés sur cette difficulté.
* « Le tarif minimum les empêcherait d’obtenir du travail » : Le principal effet néfaste est très bien anticipé. Si un travailleur produit pour 1000€ de richesse par mois (ou parce qu’il débute seulement sur le marché du travail, ou parce qu’il n’a pas encore acquis d’expérience dans son travail, ou pour quelque autre raison) et que le salaire minimum est fixé au-dessus de 1000€, aucun employeur n’aura intérêt à l’employer, car il y perdrait. Ainsi, au lieu d’avoir l’occasion d’améliorer sa productivité avec l’expérience, et de pouvoir accéder à des emplois plus rémunérateurs, il est bloqué dès les premières marches de son ascension sociale éventuelle, par une loi qui est faite soi-disant pour le protéger. Sur ce point, voir aussi Pascal Salin, « Le SMIC: machine à exclure » et l’article Salaire minimum de Wikiberal.
* « Pour ne pas réduire la ration des autres » : Comme l’ont bien analysé Milton Friedman, Thomas Sowell, et d’autres, ce sont les travailleurs actifs et les syndicats qui, ayant intérêt à limiter la concurrence sur le marché du travail, s’emploient à exclure les potentiels nouveaux-entrants.
* « les entretenir dans l’oisiveté, quoique capables de travail » : C’est là le grand malheur de notre époque, et qui provient simplement d’une loi malavisée. Des quantités toujours plus grandes d’individus, souvent des jeunes et des personnes sans qualification, souvent des femmes aussi, se retrouvent exclus du travail quoiqu’ils soient parfaitement capable de participer à l’activité économique du pays. Le drame de notre époque est précisément que ces gens en viennent à s’imaginer coupables, se sentent un poids pour la société, alors que ce n’est en aucun cas leur faute, mais que leur situation est due à des lois comme celle du salaire minimum, qui leur bloque l’accès au travail.